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VIGILANCE RDC
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5 février 2009

OPINION: Un coup de poker sur la vie et la mort

Carte_RDCL’ombre du général rebelle Laurent Nkundabatware a pesé lourdement sur la République Démocratique du Congo depuis l’investiture de la Troisième République après les élections du 2006. Pendant la guerre, Laurent Nkunda faisait partie de l’armée du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), où il s’est fait remarquer surtout comme un des responsables des tueries que le RCD a commises à Kisangani en mai 2002.

Au début de la transition, en juillet 2003, Nkunda était appelé, comme  tout autre haut cadre militaire des ex-belligérants, à se rendre à Kinshasa pour rejoindre la nouvelle armée républicaine qui devait être unifiée dans les années suivantes. Laurent Nkunda n’a jamais rejoint l’armée nationale ; sur ordre de son hiérarchie politique du RCD, il est resté en dehors de la transition. La stratégie de cette rébellion était de garder un scénario B dont Nkunda était la masterpiece : il devait reprendre les armes dans le cas d’une défaite électorale, et il est resté derrière avec une force militaire qui échappait entièrement aux efforts de brassage.

En juin 2004, il a occupé pendant presque deux semaines la ville de Bukavu, encore sur ordre de sa composante, mais le fait qu’il n’a pas pu maîtriser ses troupes quand elles ont commencé à tuer, violer et piller la population s’est retourné contre lui.  Même s’il est resté un facteur important de déstabilisation depuis lors, il n’a rien entrepris dans la période des élections en 2006. Ce calme s’inscrivait dans un climat de confiance renforcée à ce moment entre le Congo et le Rwanda où ce dernier pays trouvait que la candidature de Joseph Kabila n’était finalement pas une mauvaise chose pour ses intérêts  économiques et sécuritaires. Laurent Nkunda aurait pu empêcher l’élection de Kabila avec une action bien ciblée en octobre 2006, mais il a laissé prendre le cycle électoral prendre son cours.

Pendant les premières années de la transition, le problème Nkunda a continué à exister et est devenu un vrai phénomène. Il recevait des appuis de différentes sources :

  1. Sa milice était un outil pour mettre une pression militaire pour atteindre un objectif fondamentalement politique : celui d’une élite politique du RCD/ Goma d’obtenir plus d’espace dans les institutions de la Troisième République. Cette élite se sent frustrée : après avoir occupé un grand nombre de mandats pendant la transition, elle a presque disparu du paysage politique actuel.
  2. Nkunda recevait un appui important des milieux privés commerciaux dont les acteurs étaient en général tutsi (congolais et rwandais). La présence de la milice de Nkunda leur permettait de pérenniser l’impunité économique dont ils avaient besoin pour continuer l’exploitation des ressources naturelles du Congo. Celles-ci continuent à échapper à tout contrôle étatique congolais et disparaissent toujours par des circuits parallèles
  3. Nkunda recevait un appui du Rwanda, qui continuait à soutenir sa rébellion pour effectuer une pression sur le gouvernement tant que celui continuait à tolérer les actions militaires des FDLR sur son territoire. Actions qui prenaient d’ailleurs place dans une synergie, même complicité avec des officiers des FARDC sur le terrain au Nord-Kivu. En fonction de cela, le Rwanda fournissait un appui logistique (encadrement médical, nourriture, même munition) et envoyait même des unités des RDF (Rwandan Defense Forces) à des moments décisifs lors des opérations militaires.

Tout cela est suffisamment décrit dans l’excellent rapport des experts des Nations Unies qui a été publié en décembre 2008.

Le problème Nkunda a pu se développer en phénomène à cause d’une mauvaise gestion de la question de l’unification de l’armée congolaise, qui restait dans une logique 1+4. En 2007, le président Kabila a essayé de neutraliser Nkunda par la force. Pour ce faire, il a concentré plus de 20.000 soldats des FARDC autour de Goma. En décembre 2007, il a finalement attaqué les positions de Nkunda, mais il a perdu.

Cette humiliation, et le fait que la population était très frustrée parce qu’il n’y avait aucune amélioration de ses perspectives socio-économiques, sont à la base de la chute libre de la popularité de Kabila à l’est.
Au cours de l’année 2008, Laurent Nkunda commençait à s’établir une autonomie propre :

  1. En octobre 2008, il changeait le discours autour de sa mission : au lieu de défendre la communauté tutsi contre les FDLR, il commençait à exprimer des ambitions nationales et parlait de combattre la mauvaise gestion et de revoir les contrats chinois etc.
  2. En fonction de cela, il lançait une offensive de charme en utilisant la presse pour présenter une image moins belligérante et plus politique, même intellectuelle de lui-même
  3. Dans cette période, il intensifiait les contacts avec d’autres forces de l’opposition congolaise, notamment avec le MLC et le BDD,…
  4. Grâce à un système de taxation de la population à Rutshuru et Masisi, et grâce à ses contacts directs avec des entreprises minières, Nkunda réussissait à s’établir aussi une autonomie économique.

D’un agent loyal qui obéissait aux ordres de son hiérarchie et de ses maîtres, Laurent Nkunda est devenu en 2008 un facteur considérable dans la région des Grands Lacs. Pour ce qui concerne le Rwanda, certains interlocuteurs m’ont dit qu’il commençait à être considéré comme un acteur qui pourrait jouer un rôle dans la tension entre la partie anglophone et la partie francophone de l’élite rwandaise. Cette information n’est pas facile à vérifier.

Bref, Laurent Nkunda devenait trop grand et devait disparaître. Depuis octobre 2008, il y a beaucoup d’indications que le Rwanda voulait se débarrasser de Nkunda en faveur de Bosco Ntaganda pour le haut commandement. En même temps, le CNDP entamait au Congo et en Europe des efforts de recrutement pour réaliser un renouvellement/ élargissement des cadres politiques.   

B. La solitude de Kabila et le Rwanda sous pression

Entre-temps, il était clair que la mise en application de la déclaration de Nairobi, signée le 9 novembre 2007 par les gouvernements rwandais et congolais, et les Accords de Goma (un pour le Sud-Kivu, un pour le Nord-Kivu), était plus que problématique. Les confrontations entre différents groupes armés sur le terrain n’avaient jamais vraiment cessé, mais à partir du 28 août, une nouvelle polarisation militaire montait en escalades dans des combats à l’arme lourde, où le CNDP a conquis à deux reprises la base militaire de Rumangabo (y compris des stocks d’armes et de matériel), avec comme summum sa marche sur Goma, qu’il a arrêtée le 29 octobre 2008 aux portes de la ville parce qu’il se rendait compte qu’il n’avait pas les structures nécessaires pour gérer la ville, et que la communauté internationale n’accepterait jamais que Goma tombe dans ses mains.

Pendant que les troupes de Nkunda avançaient, les FARDC avaient fui la ville, laissant derrière la population sans protection. Quand il devenait clair que Nkunda n’allait pas prendre la ville, une partie de l’armée « régulière » est revenue pour piller cette même population, démontrant ainsi que les FARDC restent, jusqu’à nouvel ordre, plus une partie du problème qu’une partie de la solution.

Les différentes initiatives diplomatiques se cristallisaient dans la Conférence de Nairobi du 7 novembre, organisée sous les auspices de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL), mais avec un cachet onusien et entre autre un appui de Louis Michel. …

Joseph Kabila, impuissant avec son armée fantôme devant le CNDP appuyé par le Rwanda, a sollicité un soutien militaire. L’envoi de troupes a été pris en considération par plusieurs instances (on en a discuté entre autre à l’Union africaine, au SACD, à l’Union européenne et dans des pays individuels comme l’Angola) mais finalement personne n’est venu en aide. Il ne lui restait plus d’autres options que d’arriver à un accord avec le Rwanda.

De son côté, le Rwanda venait de passer des mois difficiles. En plus des inconvénients créés par les mandats d’arrêt contre des personnes-clé du régime par les juges Jean-Louis Buguière et Fernando Andreu en France et en Espagne, le Rwanda était dans une discussion pénible sur la publication du rapport sur l’observation électorale par l’Union européenne en septembre 2008. En décembre 2008, le rapport des experts des Nations Unies était publié avec beaucoup de détails sur l’implication du Rwanda dans la déstabilisation de la Troisième République à travers le CNDP. La Suède et les Pays-Bas ont immédiatement supprimé une partie de leur aide budgétaire, et dans la presse britannique étaient publiés des appels très explicites pour mettre fin à l’appui massif du régime rwandais. Le Rwanda commençait à vivre le sentiment fortement désagréable et inhabituel qu’il ne pouvait plus se permettre tout ce qu’il voulait, et ce sentiment rendait le régime très nerveux.

C. L’Opération conjointe
  • L’opération conjointe entre les armées rwandaise (RDF) et congolaise (FARDC) qui s’est déployée le 20 janvier 2009 au Nord-Kivu pour démanteler les FDLR et mettre fin à la rébellion du CNDP est un exercice qui a été en très grande partie élaboré par deux personnes avec une très grande autonomie par rapport à leurs hiérarchies : le Chef de l’Etat-major rwandais James Kabarebe et l’Inspecteur Général de la police congolaise John Numbi. Le Haut Commandement des FARDC (sous la direction du Général Didier Etumba) est resté entièrement en dehors du processus de planification. Ni le gouvernement, ni les présidents du Parlement et du Sénat n’ont été informé de ce qui se préparait
  • Le jeudi 22 janvier, 60 heures après le commencement de l’Opération conjointe, Laurent Nkunda a été arrêté sur le sol rwandais.  Cette arrestation a été rendue publique dans un communiqué signé par John Numbi comme Chef d’Etat-major de l’Opération conjointe. Le but était d’extrader Nkunda déjà le samedi 24 janvier à Kinshasa, mais la rumeur de son extradition a causé une très grande animosité parmi les officiers du CNDP, dans les camps de réfugiés tutsis congolais sur le sol rwandais et dans l’armée rwandaise. L’extradition n’a pas eu lieu, et Nkunda reste sous résidence surveillée au Rwanda, dans un statut légal pas clair : au Rwanda, il n’y a aucune inculpation contre lui, la CPI n’a entamé aucune procédure contre lui, et l’extradition au Congo n’a pas eu lieu.
  • L’incertitude du sort de Nkunda cause une grande nervosité dans les rangs du CNDP, dont les officiers ne veulent pas se brasser sans savoir ce qui se passera avec Nkunda. Ceci fait que la partie du contrat à remplir par Bosco Ntaganda (intégrer le CNDP aux FARDC) devient très compliqué. De son côté, Ntaganda a reçu des promesses que le Congo ne le livrera pas à la justice internationale
  • La place occupée par Bosco Ntaganda dans l’Opération conjointe (Chef-adjoint d’Etat-major !) pose beaucoup de problèmes pour les représentants de la communauté internationale sur le terrain. A cause du mandat d’arrêt de la CPI contre lui, ils refusent de le rencontrer ou de participer à des réunions/ cérémonies où il est présent. Dans les milieux gouvernementaux congolais, on trouve cette attitude un peu hypocrite : on se demande si les crimes de guerres de Ntaganda sont tellement plus graves que ceux du Général Amisi (ex-RCD), surnommé Tango Fort, qui occupe une place importante dans l’armée congolaise sans être inquiété par la CPI, et que les diplomates ne refusent pas de rencontrer. Les membres de la société civile avec qui j’ai parlé sur la question de Ntaganda trouvent tout simplement que le fait de donner une position à Bosco Ntaganda est une insulte posthume à l’adresse de tous les Congolais qui ont été tués à cause de la guerre.
  • Tout ceci veut dire que l’Opération conjointe est surtout menée par le RDF avec le CNDP non-brassé, dont une partie est passé par une espèce de Mixage Light. Même si l’Etat-major est dans les mains de John Numbi, les FARDC sont presque absentes.
  • La Monuc n’est pas du tout impliquée, elle a été gardée en dehors de la planification et de l’exécution de l’Opération conjointe. L’opération fait parfois appel à la Monuc  pour des interventions logistiques (transport,…) ou en termes d’approvisionnement (eau,…), mais elle ne partage aucune information avec la mission onusienne.
  • Lors de mon passage, il n’y avait pas encore eu des confrontations à grande échelle. Il y avait seulement quelques escarmouches limitées, sans qu’on sache clairement entre qui et qui. Les mouvements sur le terrain étaient surtout une recherche de positionnement.
  • Selon les informations qui m’arrivaient, les FDLR sont surtout en train de se rendre mobiles en envoyant leurs familles au Rwanda et en vendant leurs biens et leurs vaches. Selon mes sources, ils construisent un front sur l’axe Kaheshe – Ombo – Bunyakiri, et ils se préparent à protéger leurs zones d’intérêt économique.
  • La question sera : comment l’Opération conjointe réalisera-t-elle son objectif militaire ? Il paraît exclu d’encercler les FDLR. L’Opération risque de se déployer comme un bulldozer qui poussera les FDLR plus loin dans le Congo, avec peut-être le résultat qu’ils sombreront dans des groupuscules plus petites, plus désespérées et plus dangereuses. Mais ils ne disparaîtront pas du terrain et après le départ du RDF (dont le calendrier reste à voir…),  ils pourront se regrouper, donnant au Rwanda le prétexte de revenir plus tard au moment où cela leur convient.
D. Coup de poker sur la vie et la mort
  • Aussi bien à Bukavu qu’à Goma, une bonne partie de la population semblait donner à Kabila l’avantage du doute. Certes, les FDLR et le CNDP ont été à la base de tellement de malheurs, d’insécurité et de pauvreté que les gens étaient prêts à accepter des troupes rwandaises sur le territoire congolais pour les faire disparaître.  Cependant, personne n’a oublié les conséquences des promenades antérieures du Rwanda en RDC, et que psychologiquement ce n‘est pas évident de se faire libérer aujourd’hui par ses bourreaux de hier. Mais après tout, l’Opération conjointe s’inscrit dans la déclaration de Nairobi de novembre 2007, et l’intensité diplomatique des derniers mois entre le Rwanda et le Congo l’avait fait pressentir. Certains de mes interlocuteurs constataient même une modeste remontée de la popularité de Kabila à l’est du Congo
  • Mais les gens avaient peur de la façon dont l’opération se passerait.  Il y a un risque très réel de victimes civiles, vu le fait que les FDLR habitent dans certains endroits presque au milieu de la population. Il y a aussi un risque que l’Opération conjointe prenne chaque Hutu qui se trouve sur le territoire congolais pour un combattant FDLR (ce qui ne correspond à aucune réalité). L’implication du Pareco (milice avec une grande participation des Hutu congolais) dans l’Opération conjointe aurait été très utile pour éviter cela, mais le Pareco a décidé de ne pas participer à l’Opération conjointe.’
  • Une bonne partie de l’opinion publique à l’est du Congo croit que les troubles créés par Nkunda étaient non seulement tolérées mais même encouragées par certains pays européens suite à la frustration qu’ils ont dû céder leur place à la Chine à côté de Kabila. Aussi la formulation et le timing du Plan Sarkozy inquiètent beaucoup de gens : ils trouvent que le plan a comme objectif de pérenniser la réalité que ce n’est pas la population congolaise qui profite de l’exploitation des ressources naturelles de la RDC, et que le Plan Sarkozy impose donc des limites à la souveraineté du pays.
  • La population trouve qu’elle a droit d’être informée. Même si elle est prête d’accepter qu’il y a un accord entre les gouvernements congolais et rwandais, elle veut savoir les termes de cet accord. Elle veut savoir  combien de soldats rwandais sont invités pour faire quoi au juste, et quelle sera la stratégie de sortie. Ce déficit en communication de la part du chef d’état érode un peu plus la crédibilité des institutions de la Troisième République.
  • Les alliances entre le Congo et le Rwanda d’un côté, et entre les FARDC et le CNDP de l’autre, sont des mariages de raison avec très peu d’amour.  Kabila n’avait pas d’autres options parce que personne n’était prêt à venir en aide devant une situation qui était politiquement  et militairement humiliante ; Kagame n’avait pas d’autres options parce qu’il se trouvait devant un changement de ton de la part de ses partenaires qui avaientt toujours été loyaux.
  • En se lançant dans une Opération conjointe, les deux prennent un risque. Si l’Opération réussit, ils en sortiront tous les deux renforcés, aussi bien sur le front intérieur que sur la scène internationale.  Si l’Opération conjointe échoue, ils vont tous les deux en payer un prix.
  • Pour Kagame, l’ensemble de ses bailleurs se comporteront de façon plus critique ou qui pourrait même se désolidariser complètement du Rwanda
  • Pour Kabila, l’enjeu est encore plus rand. S’il ne peut pas soumettre à court terme des résultats positifs (intégration totale du CNDP aux FARDC, neutralisation des FDLR, retour du RDF au Rwanda) sa position pourrait devenir intenable avec :
  • Un Parlement et un Sénat qui ont commencé à jouer leur rôle démocratique de questionner l’exécutif
    o Une opposition qui est très critique à l’égard de l’action gouvernementale
    o Une presse nationale qui s’exprime de façon très explicite
    o Une population à l’est qui a perdu sa confiance en lui depuis longtemps et qui lui reprochera d’avoir ouvert les portes au Rwanda sans que le problème des FDLR ait été résolu
    o Une population kinoise qui lui est restée hostile après la disparition de Bemba de la scène politique et parce qu’elle n’a jamais vu améliorer ses conditions de vie depuis les élections.
  • Ceci veut dire que la survie politique de Kabila dépend d’une Opération conjointe dont le volant n’est pas dans les mains de l’armée congolaise mais dans les mains du Rwanda.

By Kris Berwouts

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