Lettre ouverte aux élus de la province de Kinshasa
Le 21 avril 2008, SOS KINSHASA, notre ASBL vous adressait une lettre ouverte par laquelle elle interpellait votre indifférence totale sur le phénomène de spoliation des infrastructures scolaires et parascolaires publiques de notre province. SOS KINSHASA rappelait que Kinshasa, votre circonscription électorale, est le siège des institutions, le réservoir de l’élite d’aujourd’hui et celle des générations à venir. Elle continue à affirmer qu’une élite est sans conteste le résultat d’une longue et rigoureuse éducation multidimensionnelle assise sur la formation scolaire, la dispensation de bonnes pratiques morales par les parents, la transmission des valeurs civiques par les enseignants et enfin la pratique du sport comme moyen d’interaction et d’intégration avec les autres enfants.
Depuis la publication de cette lettre ouverte, SOS KINSHASA poursuit, seule, la lutte contre les spoliateurs-prédateurs des écoles publiques de la capitale de la RD Congo. Grâce à ses efforts de lobbying lors de la plénière de l’Assemblée nationale du 19 mai 2008, les conclusions du rapport sur la spoliation des Athénées de la Gare et de la Gombe ainsi que le cimetière de Kasa-Vubu n’avaient pas été adoptées en l’état. Elles avaient subi des amendements profonds grâce à la vigilance de SOS KINSHASA et de l’amour pour l’éducation partagé par certains députés nationaux autres que ceux de la ville de Kinshasa. Lors des débats, SOS KINSHASA n’avait pas perçu l’engagement total de nos élus dans la défense pour la protection des biens du domaine public de l’Etat destinés à l’usage du service public : l’éducation de nos enfants.
Les efforts de lobbying de SOS KINSHASA avaient abouti aux résolutions prises par cette plénière du 19 mai 2008, notamment l’annulation de tous les titres délivrés sur des espaces spoliés de ces écoles publiques et de tous les autres. Elles requéraient aussi l’ouverture des poursuites judiciaires contre les auteurs de ces aliénations illégales quelle que soit leur qualité officielle actuelle ou dans le passé. Malheureusement, depuis lors, pas un seul d’entre vous et dans aucun de vos hémicycles respectifs n’a demandé aux deux exécutifs – central et urbain – le niveau d’exécution de ces recommandations. En revanche, SOS KINSHASA poursuit, seule, ses efforts aux fins d’obtenir l’annulation des titres immobiliers sur les terrains de nos écoles publiques. Elle avait notamment transmis au président de la République la liste des écoles spoliées de la capitale à l’issue de l’audience qu’il avait accordée à vos collègues du Sénat et de l’Assemblée nationale. Elle a également saisi les instances judiciaires à travers une plainte contre inconnu (voir www.soskinshasa.org).
Mesdames et Messieurs les élus de Kinshasa, Vous n’êtes pas sans savoir que le rayonnement culturel d’un pays et sa prospérité économique passent impérativement par la qualité de l’éducation de ses enfants. Vous devriez aussi avoir à l’esprit que dans certains pays, certaines grandes villes deviennent des références universelles non pas par leurs superficies ni par la densité de leurs populations, mais par la production scientifique, culturelle et économique de leurs habitants. Or, quoique Kinshasa ne soit pas un îlot dans une mare d’une crise généralisée, le système éducatif courant dans notre province est gravement en péril : baisse continue du niveau général des élèves, corruption passive dans la procédure d’évaluation et de cotation, négoce sexuelle des notes. SOS KINSHASA ne mesure aucune initiative individuelle ou collective de votre part susceptible de corriger ce dérapage destructeur de notre identité.
Oui, SOS KINSHASA demeure persuadée que votre serment constitutionnel doit se traduire par une obligation morale de ne pas renoncer à nos écoles publiques, sans renoncer à votre propre identité de Kinois. En effet, la plupart d’entre vous, Kinois, ont connu et ont étudié dans certaines de ces écoles publiques aujourd’hui victimes de spoliation. Ces écoles ont contribué à votre formation. Vous avez l’obligation constitutionnelle de défendre les intérêts de vos électeurs. Manifestez-la à travers des initiatives de sauvegarde et de récupération du temple du savoir. En demeurant passif et devant la faillite de l’Etat, les spoliateurs poursuivront leurs actions de destruction du savoir en tuant l’école. Non, ils ne détruisent pas seulement les infrastructures, mais ils tuent principalement le rêve ; l’idéal en chaque enfant sans lequel rien n’est possible dans la vie d’aujourd’hui et surtout de demain où la compétition cognitive est implacable. Cet idéal du savoir détermine le degré de motivation des ambitions pour nos enfants sans laquelle, il n’y a point d’excellence.
Oui, nos enfants assimilent mal les connaissances et se contentent de plus en plus d’une expression française approximative, celle en lingala n’est guère meilleure. Cette carence poignante affichée en matière de communication expose la pauvreté de la qualité de notre système éducatif à ce jour fort corrompu. Bien plus, elle traduit la négligence et/ou l’irresponsabilité de nous autres adultes et parents. Le système éducatif ne produit pas les intelligences correspondantes aux offres d’emploi. Il libère des « diplômés » inadéquats au marché du travail, car les fondamentaux de l’absorption du savoir n’ont pas été maîtrisés. Tout se passe comme si vous tolériez la promotion de la médiocrité à tous les niveaux de notre société. Celle-ci est visible à travers les chaînes de télévision. A longueur de journée, la vulgarité des émissions rivalise avec la médiocrité de leurs contenus. Ne disposant pas d’aires publiques de sports, nos enfants passent des heures devant le petit écran à mémoriser la vulgarité et l’abus du langage grossier proféré par les « stars ». C’est bien celles-là que nos enfants prennent pour des modèles dans notre société.
Alors que vos fonctions devraient faire de vous des modèles pour notre jeunesse au regard de vos charges, certains parmi vous, lors de leurs passages à la télé s’illustrent par des comportements et un langage indignes de vos positions sociales. Nos enfants s’imaginent aujourd’hui que, sans effort, « chance eloko mpamba », l’on peut se faire une place au soleil et, sans éducation, on peut bien gagner sa vie. Cela n’est pas le cas pour tout le monde. Pour faire de bons adultes, il faut d’abord encadrer et former adéquatement les enfants. De quel bord vous situez-vous ?
Ce qui est déplorable dans vos attitudes, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Députés Nationaux, Députés Provinciaux, Gouverneurs et Vice-gouverneur de Kinshasa, c’est que régulièrement vous participez aux caucus de « vos provinces d’origine » au lieu de vous constituer en véritables groupes parlementaires proactifs pour défendre les intérêts des Kinois. Vous êtes des élus de Kinshasa et non des transfuges de « vos provinces d’origine ». SOS KINSHASA vous rappelle vos obligations constitutionnelle et morale de défendre les intérêts des Kinois – et non ceux de « vos provinces d’origine » – dans vos hémicycles respectifs. Voila pourquoi « les provinciaux » ont inventé l’irrévérencieux « la Kinoiserie » parce que nous ne savons pas défendre nos intérêts.
Rappelez-vous Mesdames et Messieurs les élus que le vote des Kinois n’est pas un chèque en blanc. Il sera bientôt l’heure de nous rendre de véritables comptes de vos actions en faveur de la population kinoise. Il est temps de mouiller vos chemises pour la récupération des infrastructures scolaires et parascolaires publiques de la ville de Kinshasa pour l’intérêt éducatif de nos enfants, vos futurs électeurs. En effet, la loi foncière est de notre côté et du votre. Tant qu’elle n’est pas abrogée, elle demeure de stricte application. Vous avez une fois ici l’opportunité indiscutable de justifier votre mandat.
Kinshasa, le 28 septembre 2009
Ornelie Lelo Chargée des Relations Publiques Leny Ilondo Ye Nkoy Président